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Comment Israël pourrait profiter de la crise au Soudan

Une victoire des FSR de Hemetti au Soudan pourrait être avantageuse tant sur le plan politique qu’économique pour les projets d’Israël dans la région
La fumée s’élève au-dessus de bâtiments à Khartoum alors que les combats se poursuivent, le 17 mai 2023 (AFP)

Après la chute de l’ancien président soudanais Omar el-Béchir en 2019, Israël est apparu comme un acteur important dans la phase de transition du pays. 

Israël dispose d’un intérêt stratégique dans la normalisation de ses relations avec le Soudan, compte tenu de l’importance du littoral soudanais de la mer Rouge d’un point de vue sécuritaire et économique. Le Soudan forme le cœur de l’Afrique, avec des prolongements profonds dans le continent africain grâce à sa situation géographique, à sa vaste superficie et à ses frontières étendues.

Dans les années 1950, le Soudan occupait une position centrale dans la « doctrine de la périphérie » d’Israël, élaborée pour faire contrepoids à une région arabe largement hostile à l’État israélien. Cette doctrine impliquait la formation d’alliances et l’établissement de relations avec d’autres nations musulmanes. Le soutien apporté par Israël aux mouvements rebelles dans le sud du Soudan avant sa sécession en était un bon exemple.

Aujourd’hui, Washington a fait de l’ouverture envers Israël et de la normalisation des relations avec ce pays une norme pour assurer la solidité des relations entre les États-Unis et les États arabes, en particulier sous l’administration Trump. Ce programme, défendu par certains pays de la région, a poussé les acteurs soudanais à s’engager sur la voie de la normalisation avec Israël afin d’obtenir une légitimité internationale.

Israël appréhende également la normalisation sous un angle économique en cherchant à ouvrir la porte aux investissements dans les secteurs de l’agriculture, de l’exploitation minière et de la sécurité

Cette tendance s’est manifestée récemment à travers un certain nombre d’événements, notamment la visite en février du ministre israélien des Affaires étrangères à Khartoum, lors de laquelle il a rencontré le chef de l’armée soudanaise Abdel Fattah al-Burhan. L’ancien Premier ministre Abdallah Hamdok avait déclaré précédemment que la normalisation avec Israël nécessiterait « une discussion approfondie » au sein de la société soudanaise.

À la tête des Forces de soutien rapide (FSR), Mohamed Hamdan Dagalo, surnommé Hemetti, semble être en mesure d’offrir de plus grandes concessions, notamment après avoir signé un accord en 2019 avec une société de lobbying fondée par un ancien agent des services de renseignement israéliens. 

Hemetti a rencontré à plusieurs reprises les services de renseignement israéliens et, en mai 2022, une délégation clandestine aurait remis au chef de milice une technologie de surveillance avancée. Les FSR ont également exprimé leur soutien au processus de normalisation et à la signature des accords d’Abraham. Ces initiatives ont pour but de rallier le soutien américain et international, malgré le rejet de cette approche par le peuple soudanais.

Commerce et sécurité

Israël, en parallèle, cherche à se positionner stratégiquement au Soudan afin de renforcer sa propre sécurité et d’étendre son influence régionale, notamment en Afrique. Le pays entend profiter du long littoral soudanais de la mer Rouge à des fins de commerce, de défense et de sécurité, notamment en constituant un rempart contre l’Iran.

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Israël souhaite freiner l’influence croissante de l’Iran dans la région tout en coupant les itinéraires de trafic d’êtres humains et d’armes entre le Soudan et Gaza. De meilleures relations avec le Soudan renforceraient également les liens d’Israël avec d’autres pays africains, ce qui l’aiderait à accéder aux marchés du continent, en particulier après la suspension du statut d’observateur accordé à Israël au sein de l’Union africaine.

En outre, l’échange de renseignements sur les déplacements de groupes de résistance palestiniens et autres en Afrique du Nord pourrait aider Israël à mettre à mal ces organisations, à atténuer les menaces anticipées et à mener des frappes préventives.

Israël appréhende également la normalisation sous un angle économique en cherchant à ouvrir la porte aux investissements dans les secteurs de l’agriculture, de l’exploitation minière et de la sécurité, tout en renforçant ses intérêts politiques et économiques en Éthiopie et dans l’ensemble de la Corne de l’Afrique. Israël devrait tirer profit de la construction du Grand barrage de la Renaissance éthiopienne, point de discorde entre l’Égypte, le Soudan et l’Éthiopie. 

Des deux camps belligérants au Soudan, ce sont les FSR qui se rapprochent le plus des intérêts stratégiques et des objectifs nationaux d’Israël. Le groupe s’est engagé à combattre les « islamistes radicaux » et a récemment retiré le mot « al-Quds » (« Jérusalem » en arabe) de son logo. En revanche, les islamistes exercent une influence considérable sur l’armée soudanaise, ce qui va à l’encontre des intérêts israéliens. Le régime soudanais a ouvertement soutenu les mouvements de résistance palestiniens par le passé.

Des deux camps belligérants au Soudan, ce sont les FSR qui se rapprochent le plus des intérêts stratégiques et des objectifs nationaux d’Israël

Dans le même temps, le déploiement des FSR dans des opérations régionales s’est avéré efficace, par exemple à travers leur soutien au chef de guerre Khalifa Haftar en Libye. En outre, l’implication des FSR dans l’exploitation aurifère échappant au giron de l’État permet aux puissances internationales de manipuler et d’orienter plus facilement le groupe pour servir leurs intérêts et leurs objectifs.

Les affrontements entre les FSR et l’armée soudanaise sèment le chaos dans tout le pays, si bien qu’il est difficile d’estimer quand reviendra la stabilité. Alors que des centaines de milliers de personnes sont déplacées par le conflit, il existe également un risque que les vagues migratoires de réfugiés prennent de l’ampleur.

Néanmoins, ce chaos aura un impact positif pour Israël en affaiblissant l’Égypte sur les plans stratégique et militaire, cette dernière n’ayant que peu d’influence sur le cours des événements au Soudan.

- Shady Ibrahim est chercheur associé au Centre for Islam and Global Affairs (CIGA) de l’université İstanbul Sabahattin Zaim. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @shadyibrahim90.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.   

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Shady Ibrahim is a research associate at the Centre for Islam and Global Affairs (CIGA), Istanbul Sabahattin Zaim University. He tweets @shadyibrahim90
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