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Aux États-Unis, de plus en plus de musulmans envoient leurs enfants dans des écoles confessionnelles

De nombreux musulmans américains choisissent d’envoyer leurs enfants dans des écoles confessionnelles islamiques parce qu’ils estiment que l’enseignement laïc va dans la mauvaise direction
Des élèves de Crescent High School, un lycée musulman de New York, participent au défilé de la journée des Américains musulmans à New York, le 26 septembre 2010 (AFP)
Des élèves de Crescent High School, un lycée musulman de New York, participent au défilé de la journée des Américains musulmans à New York, le 26 septembre 2010 (AFP)

Abdullah Khan a été scolarisé dans l’enseignement public. Le fait est que ses parents voulaient envoyer leurs enfants dans une école musulmane privée, mais qu’ils n’en avaient pas les moyens – et Abdullah pense qu’il en a souffert.

« Le sexe et les drogues », résume-t-il à Middle East Eye. « Voilà ce à quoi j’ai été confronté pendant tout le lycée. » 

Abdullah Khan, aujourd’hui âgé de 32 ans, et ses deux frères et sœurs sont allés dans un lycée public dans le Michigan. Il raconte avoir passé les deux premières années à essayer des drogues, comme beaucoup de ses camarades. Il se rappelle aller à des fêtes et se retrouver dans une pièce avec une jeune fille et se forcer à partir avant que quoi que ce soit n’arrive. 

« Je veux qu’on lui enseigne les idéaux musulmans à l’école »

- Abdullah Khan, parent d’élève dans une école musulmane

Abdullah Khan est musulman et a été élevé en tant que tel. Dans l’islam, la prise de drogue et le sexe avant le mariage sont interdits. Et si ses parents ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour amener leurs enfants vers l’islam, cela a été difficile, confie Khan. 

« En étant entouré de gamins qui font ces choses, il est très difficile de dire non. J’étais ce gamin dégingandé et basané au lycée. Bien sûr, je voulais m’intégrer et être apprécié. »

Pour lui, cela signifiait prendre part à des choses jugées haram (interdites) par l’islam. Ce n’est que lorsqu’il a été plus âgé qu’il a compris ses erreurs. Ainsi, pour que ce soit plus facile pour la nouvelle génération, il a inscrit sa fille dans une école musulmane, une maternelle. Et de nombreux parents font la même chose. 

Pour Khan, il est facile d’être sous pression dans un pays qui n’est pas à majorité musulmane. « Je veux qu’elle soit entourée d’autres musulmans et je veux qu’on lui enseigne les idéaux musulmans à l’école. »

« De nos jours, lorsque vous inscrivez vos enfants dans l’enseignement public, ils leur demandent de choisir leur genre. Et il y a une cinquantaine de genres parmi lesquels choisir. Ce n’est pas ainsi dans l’islam et je veux éloigner ma fille de tout cela. »

Données non claires

Il n’existe pas de données claires sur le nombre d’écoles musulmanes à travers le pays ou le nombre d’élèves qui y sont inscrits. Un rapport 2011 de l’Institute for Social Policy and Understanding (ISPU) indique : « Après avoir pris en considération d’autres facteurs, le nombre le plus probable d’enfants dans des écoles musulmanes est d’environ 32 000 élèves. »

« Bien que cette information indique assez clairement le nombre d’enfants inscrits à plein temps dans des écoles musulmanes, il n’indique pas en revanche la part d’enfants musulmans scolarisés dans des écoles musulmanes parce que le nombre de musulmans en général n’est pas encore bien déterminé. »

Dix ans plus tard, ce nombre a certainement beaucoup augmenté. 

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Shorouq Bader est la principale de Universal Academy of Pittsburgh, une école musulmane à temps complet. Elle indique que les inscriptions dans son école augmentent, bien qu’ils pourraient y avoir un certain nombre de facteurs à cela. L’année dernière, 135 élèves étaient inscrits dans son école. Aujourd’hui, ils sont 160. 

Elle explique que les écoles musulmanes célèbrent l’identité de l’élève et, comme les écoles juives et catholiques, se concentrent sur un objectif spécifique que les enfants ne trouvent pas dans les écoles publiques. 

Aisha Habibovic est enseignante à Almanara Academy, une école musulmane dans le Missouri dont elle a autrefois été élève. Actuellement, l’école accueille 110 élèves et ce nombre devrait augmenter dans les années à venir.

« Nous avons quelques familles cette année qui nous disent que leurs enfants ont du mal à l’école publique car ils n’arrivent pas à s’identifier à quiconque là-bas, en particulier les jeunes enfants. Ils voient leur mère et leurs tantes porter le hijab, mais personne n’en porte à l’école », rapporte-t-elle.

Selon Habibovic, les parents veulent construire un socle pour leur enfant dès le plus jeune âge. 

Les écoles musulmanes comme Almanara enseignent les matières fondamentales qui sont requises par le ministère de l’Éducation, notamment les mathématiques, l’histoire et la science. En outre, elles enseignent les études islamiques et l’arabe, qui « sont la définition même d’une école musulmane », selon un rapport ISPU. 

Les programmes varient selon les États. À New York, les écoles privées doivent justifier de la tenue de cours d’anglais, de maths et d’autres matières fondamentales pour ne pas risquer de perdre les fonds publics. En septembre, le Board of Regents, organisme qui supervise les écoles de New York, a voté de nouvelles règles après une enquête du New York Times qui a montré les lacunes des écoles ultra-orthodoxes juives pour garçons. 

« [Certains] enfants ont du mal à l’école publique car ils n’arrivent pas à s’identifier à quiconque là-bas »

- Aisha Habibovic, enseignante 

Ces nouvelles règles obligeront toutes les écoles privées de l’État de New York à fournir des cours spécifiques en anglais, ainsi qu’à s’assurer que les enseignants sont compétents dans leurs matières. 

Les professeurs qui ne sont pas compétents dans leurs matières constituent un sujet de plainte fréquent chez ceux qui ont été scolarisés dans des écoles musulmanes. De nombreux professeurs sont des volontaires et sont très mal rémunérés. Ils enseignent souvent plus d’une matière dont ils n’ont qu’une connaissance élémentaire, rapporte à MEE un professeur retraité d’une école musulmane de New York.

Il n’existe pas de données claires montrant comment les élèves des écoles musulmanes s’en sortent aux examens d’admission à l’université comme le SAT, par rapport aux élèves qui vont dans le public. Malgré ces lacunes, de nombreux parents continuent d’opter pour les écoles musulmanes.

« Toute chose comporte des inconvénients. Les écoles musulmanes sont loin d’être parfaites et de nombreuses réformes sont nécessaires. Mais il faut se rappeler qu’envoyer vos enfants dans une école musulmane ne suffit pas », insiste Khan.

« Les parents doivent faire un effort et enseigner à leurs enfants les valeurs musulmanes ainsi que veiller sur leurs devoirs et leurs études. Je pense que cela va sans dire, que vous envoyiez vos enfants dans une école musulmane ou dans une école publique. »

« Bulle de sécurité »

Suhayla Saleh est une diplômée d’une école musulmane au Texas. Elle est allée dans cette école de la crèche jusqu’à la terminale. Et si elle assure que cela n’a pas toujours été facile, elle ne reviendrait pas sur son expérience.

Pour elle, l’école musulmane était un espace sûr où on lui a enseigné les valeurs et l’histoire de l’islam. Elle explique qu’énormément d’écoles musulmanes sont très strictes et imposent une tenue vestimentaire pour les étudiants comme pour les professeurs.

Dans son école, les filles devaient porter obligatoirement un hijab blanc et les enseignantes ne pouvaient pas porter de maquillage. Garçons et filles étaient séparés mais la plupart du temps, en particulier au lycée, ils réussissaient à trouver des moyens de se retrouver en dehors de l’établissement. Mais elle explique que ce sont ces règles strictes qui lui ont au final permis de trouver son chemin vers l’amour de sa foi. 

« Les parents constatent que les écoles publiques vont dans une voie qui ne leur convient pas et ils ne veulent pas que leurs enfants l’empruntent »

- Sufia Azmat, CISMA

Suhayla Saleh indique que de nombreuses personnes finissent par quitter l’école musulmane parce qu’ils la trouvent très stricte, une critique nécessaire selon elle.

« Je préfère que ce soit strict plutôt que de nous laisser livrés à nous-même et nous mélanger avec des shorts moulants et des crop tops. Mais sinon, quelle serait la différence entre une école musulmane et une école publique ? », demande-t-elle.

Ce que Suhayla Saleh préférait à l’école musulmane était être entourée d’autres musulmans. Elle explique à MEE que lorsqu’elle a terminé le lycée, elle s’est retrouvée confrontée à la réalité. 

« J’avais été en sécurité dans cette bulle pendant tellement d’années. Je ne vais pas mentir, l’université a été difficile au début. Être entourée par divers types de gens avec tant d’expériences et valeurs tellement différentes était intéressant. Mais j’ai l’impression qu’avoir été scolarisée dans une école musulmane m’a appris à respecter ceux qui ne sont pas comme nous. »

Sufia Azmat est la directrice exécutive du Council of Islamic Schools in North America (CISNA), une organisation qui accrédite les écoles musulmanes. Si le CISNA n’a pas de données concrètes sur le nombre total d’inscriptions, Azmat affirme qu’il y a sans conteste une tendance à la hausse. L’une des raisons à cela est que la confiance envers les écoles musulmanes a augmenté lors de la pandémie de covid-19. Elle pense que les enseignants et administrateurs ont fait énormément pour les enfants, et les parents l’ont vu. 

Mais une raison majeure pour laquelle les inscriptions semblent augmenter – et continueront à augmenter – est que les parents ne veulent pas que leurs enfants soient dans des environnements où on ne leur enseigne pas les valeurs musulmanes. 

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Beaucoup ont contacté le CISNA pour l’informer qu’ils prévoyaient d’ouvrir une école musulmane locale et demander des ressources. Sufia Azmat indique avoir reçu plus d’appels l’année dernière que ces cinq dernières années.

Elle pense que ce qu’il y a de mieux dans les écoles musulmanes, outre les élèves, ce sont les enseignants. Les enseignants touchent probablement 50 % de moins que ce qu’ils seraient payés dans une école publique, selon elle. 

« Ils le font parce qu’ils veulent le faire. Ils le font parce qu’ils se soucient des enfants et cela se voit. 

« Nos écoles n’ont pas les ressources dont disposent beaucoup d’écoles publiques. Nous n’obtenons pas ces fonds fédéraux. Nous n’obtenons pas de fonds provenant des contribuables. Mais nous avons énormément de parents qui se portent volontaires et qui sont très impliqués dans l’éducation de leurs enfants. »

Sufia Azmat fait partie de Global Association of Islamic Schools, qui a des membres à travers le monde, notamment aux Pays-Bas, en Australie, au Pakistan et à Dubaï. Il y a quelques temps, ils ont organisé une réunion stratégique où des inquiétudes similaires ont été exprimées. 

« On évoquait les défis et les besoins de nos écoles et des enfants. Le genre de choses qu’on constate dans la société, la direction dans laquelle vont les choses concernant ce qu’ils veulent voir enseigner dans le cursus, les types de livres disponibles dans nos écoles et le manque de livres ayant des personnages musulmans », détaille-t-elle.

« Les parents constatent que les écoles publiques vont dans une voie qui ne leur convient pas et ils ne veulent pas que leurs enfants l’empruntent. »

Interdiction de livres dans les écoles publiques

En octobre dernier à Dearborn (Michigan), il y a eu un certain chaos lorsque l’administration scolaire a temporairement restreint l’accès à sept livres après que des parents ont exprimé leurs inquiétudes concernant le contenu sexuellement explicite de ces livres.

Les parents nient vouloir censurer les livres évoquant des sujets LGBTQ+. Ils disent vouloir censurer les livres qui contiennent du contenu sexuellement explicite, que ce soit dans le texte ou dans les illustrations, ce qui a déjà été fait dans d’autres secteurs scolaires.

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Parmi les sept livres que les parents essaient de retirer des bibliothèques scolaires, il y a effectivement des références LGBTQ+ ou des ouvrages écrits par des auteurs qui s’identifient comme tels mais c’est une coïncidence, assurent les parents à MEE.

Les livres en question contiennent des « représentations très explicites et des descriptions d’activités sexuelles. Parmi ces activités sexuelles figurent le sexe oral, la sodomie et la masturbation de groupe (entre adolescents) ainsi que des instructions pas à pas et des images qui expliquent comment réaliser divers actes », indique le Conseil des relations américano-islamiques (CAIR) du Michigan dans un communiqué. 

Omar, un parent qui n’a pas souhaité divulguer son nom de famille, va transférer ses enfants de l’école publique à une école musulmane. Ceux-ci sont dans une école publique de Dearborn depuis sept ans. Aujourd’hui, Omar estime que c’est assez. Une décision également prise par d’autres parents.

« J’ai assisté à une manifestation du conseil scolaire il y a quelques semaines. C’était une réunion du conseil scolaire, mais quelques parents et moi protestions contre ces livres qui sont curieusement autorisés dans nos écoles », raconte le père de famille. 

« Honnêtement, je ne crois pas qu’il se passera quoi que ce soit. Notre propre maire musulman n’est pas de notre côté. C’est parce qu’il y a des choses comme ça que cela n’en vaut pas la peine. J’enverrai mes enfants dans une école musulmane dès que j’en aurai l’occasion. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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